le 14 décembre 2011.
C'est dans l'habituel brouillard que dansent les fantômes encore vifs d'un de ces ports de pêche normands. Je quitte Cherbourg pour Paris.
Il y a déjà quelques semaines que j'ai contacté les deux personnages qui, dans mon esprit, devaient constituer l'équipage idéal du prototype mobile. Durant ces quelques jours ensemble vont se jouer les prochains mois d'activité du laboratoire des hypothèses.
Et je doute.
Vont-ils adhérer au projet? Et, par dessus tout, vont-ils s'accepter et accepter de nourrir de leur expérience cette aventure à l'issue ô combien incertaine.
Une chose me rassure néanmoins. Eddy Godeberge que je connais déjà bien, est homme d'engagement, on sent aussi fortement en lui sa capacité à inventer dans les coups durs. C'est un homme sûr, sur qui on peut compter, de corpulence robuste, à même de se jeter dans la tourmente et sauver alors ce qui doit l'être.
Bien sûr son penchant pour l'alcool risque d'entraver sinon la bonne marche de l'expérience, au moins la flottabilité du véhicule, mais j'ai bon espoir de parvenir à rationner, en l'amadouant par les contraintes techniques, les stocks pesants de breuvage. Maintenir son acuité restera un défi, mais n'est-ce pas là le rôle du capitaine que de tendre le fil qui le lie à son équipage?
Pour ce qui est de Bruno Persat, mon sentiment est des plus partagé.
Certes il présente des capacités hors du commun et essentielles dans un projet comme celui qui nous intéresse ici. Son imagination, plus proche d'un art de l'image que d'une propension à la rêverie, une faculté naturelle à romancer les situations réelles, en font, ajouté à sa culture de la prise de vue, un équipier de premier ordre, apte à concevoir les protocoles expérimentaux qui fondent la recherche.
Bien sûr, sa faculté à opérer des pas de côté insufflera à ce voyage une trajectoire nécessairement inattendue. Il m'est d'avis cependant qu'un pas de côté opéré au mauvais endroit pourrait bien le précipiter par dessus bord.
Première remarque technique : prévoir un harnais pour Bruno.
Reste son penchant naturel à la dilution qui résonne merveilleusement bien avec le principe moteur du laboratoire mais qui m'inquiète également sérieusement.
Le bougre ne nous fera-t-il pas faux bond le jour J quand, au comble de la pression, le départ s'avérera imminent? J'ai encore en tête le triste comportement de Jack Palmer, coéquipier d'Alain Bombard sur l'Hérétique, disparaissant corps et bien dans les bars de Tanger alors que la météo rend le départ irrémédiable… Bombard partit seul.
Enfin, ces deux garçons aussi volontaires qu'inventifs restent les meilleurs atouts pour la concrétisation de ce projet un peu fou, impossible à mener à bien en solitaire, la traversée de la Loire du Sud au Nord, en une seule semaine.
La rencontre qui s'annonce dense et animée, produira les indices de ce à quoi ressembleront les long mois nécessaires aux préparatifs. Nous sommes sur le point de vivre une maquette de la vie à bord, quand, soumis aux aléas du fleuves, nos véritables natures s'échapperont des failles attisées par les éléments.
Fabrice Gallis